Vivre l’instant

Voici un genre de fable philosophique
Dont la chute paraît quelque peu ironique.
Ce conte, situé autrefois en orient,
Nous présente à travers ce récit édifiant
La thèse qu’on ne peut jamais vraiment s’instruire
Avec des connaissances acquises par ouï-dire
Même quand on est riche et qu’on a du pouvoir ;
L’expérience seule donnant le vrai savoir.

Ce jour-là le grand roi d’un beau pays décède
Et son seul fils alors de plein droit lui succède.
En proie à l’anxiété et un sourd désarroi,
Conscient de son ignorance, ce jeune roi
Fait mander vivement au château tous les hommes
Les plus instruits, lettrés et savants du royaume.
Ces sages réunis, il leur demande alors
De voyager au sud, à l’est, à l’ouest, au nord
A cheval sur les terres, en bateau sur les ondes
Afin de parcourir tous les villes du monde
Et de lui rapporter de ces pays distants
Toutes les sagesses et sciences de son temps.
Chacun étant parti au loin sur la planète,
Seize ans furent requis pour mener cette quête
Au bout desquels enfin ils reviennent au palais.

Au roi, impatienté par un si long délai,
Ayant ouvert des coffres et de pesants bagages,
Ils remettent un monceau d’impressionnants ouvrages,
Livres précieux couverts de cuir ou de satin
Rédigés en Sanscrit, en Grec et en Latin
Et dans d’autres langues savantes de la terre.

Comprenant devant ce tas extraordinaire
Que les savants empilent ainsi dans son salon,
Que lire tout cela serait vraiment trop long
Et qu’il ne viendra pas au bout de tous ces livres
Dans le nombre d’années qui lui restaient à vivre,
A tous ces érudits il demande à présent
De faire ce travail eux-mêmes en lisant
Et approfondissant chacun une matière
Afin d’en rédiger une synthèse claire.

A ce nouveau travail s’attèlent les savants
En différents domaines et, au bout de seize ans,
Chacun, au souverain que le pouvoir vieillit,
Livre finalement un tome manuscrit
Résumant chaque science ou sagesse profonde
Élaborée par chaque nation dans le monde.

Mais devant les livres qui lui sont présentés,
Le vieux roi se voit dans l’impossibilité
De lire et d’intégrer tous ces doctes ouvrages
Alors qu’il est déjà bien avancé en âge.
Il prie donc les savants quelque peu déprimés
Que chacun, de son livre, fasse un résumé,
Un seul article par ouvrage qui condense
L’essentiel contenu dans chacune des sciences.

Le groupe d’érudits avec résignation
Entreprend ce nouveau travail de rédaction
Et après moult études et veilles acharnées
Obtient le résultat en moins de huit années.
Malade et fatigué, le bien vieux souverain,
Pour la santé duquel toute la cour craint
Le sachant atteint par la maladie sournoise,
Demande à ses savants qu’en une simple phrase
Chacun synthétise l’article rédigé.

Le délai pour écrire l’ultime abrégé
Demande encor quatre ans. Puis en un seul volume
On groupe ces phrases qui chacune résume
Dans une extraordinaire concentration
Une science ou sagesse de chaque nation.

Afin de l’apporter enfin à son altesse,
Aux couloirs du palais vivement l’on s’empresse,
Mais la vie du roi touche à son extrémité
Et quand son chambellan, le trouvant alité,
Apporte à son chevet l’ultime quintessence,
Le monarque épuisé, près de la défaillance,
Fébrile et impatient, lui dit en murmurant :
« Dis-moi une seule phrase ; je suis mourant,
Une phrase qui résume cette sagesse,
Tout ce savoir avant ma mort, car le temps presse ! »
« Sire, lui répond le conseiller au désespoir,
Cette immense sagesse et tout ce grand savoir
Du monde d’aujourd’hui tiennent en quelques lettres… »
« Vite, lui dis le roi, car je vais disparaître ! »
Hé bien Sire, voilà, lui dit le chambellan :
« Tout ce savoir tient en deux mots : Vivre l’instant ! »

                                                      Septembre 2025

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