Un conte de fées

chaumière et chateau

Au temps jadis, les soirs d’hiver, à la veillée,
Le cercle familial, devant la cheminée,
En écoutant l’aïeul se chauffait au foyer,
Les yeux fixés sur l’âtre où le feu rougeoyait.

C’est vrai qu’il est plaisant d’entendre des histoires,
Ces contes du passé que l’on garde en mémoire,
Des histoires d’amour qui vous font chaud au cœur
Ou récits de héros pleins de gloire et d’ardeur.

Eh bien, puisque ce soir amène tôt la brune,
Je vais, si vous voulez, vous en raconter une.
Approchez- vous encore, approchez-vous plus près,
Je parlerai très bas, ceci est un secret.

Car il ne s’agit pas d’une histoire ordinaire,
Ni du conte d’un prince épousant sa bergère,
Mais plutôt d’une fable au sens mystérieux
Une sorte de mythe au contenu précieux.

Il était une fois dans une île lointaine
Par delà l’océan un roi et une reine
Dont l’immense sagesse et l’auguste grandeur
Valaient à leurs sujets le plus parfait bonheur.

Or le ciel accorda à ce couple exemplaire
Deux aimables bébés qui avaient tout pour plaire.
Un prince et une princesse car les marmots
Étaient fille et garçon. Et ces charmants jumeaux

Semblaient bien sûr promis à une vie princière…
C’est là que l’histoire devient particulière :
Leur bonne éducation importait tant au roi
Qu’il fit à ce sujet un bien singulier choix.

Car peu de temps après que soient nés ces deux anges,
Il confia les enfants encore vêtus de langes
Et les mis en pension avant qu’ils aient deux ans
Chez un couple d’honnêtes et de bons paysans.

Les deux petits ainsi furent mis en nourrice
Et ces braves fermiers, payés pour ce service,
En leur faisant croire qu’ils étaient leurs parents
Devaient les élever comme leurs propres enfants

Avec, bien entendu, l’interdiction formelle
De ne rien révéler, promesse solennelle.
Ils prirent les petits dans leur humble maison
D’où l’on voit du château les tours à l’horizon.

Le secret fut gardé et les années passèrent
Et ils vécurent ainsi comme de pauvres ères
Ignorant le velours, la soie et le satin,
Mais vêtus de haillons, levés de grand matin,

Lavant à l’eau froide leurs mains et leur figure,
A leurs pieds des sabots, aux doigts des engelures ;
Ces enfants, travaillant de l’aurore au couchant,
Furent bientôt rompus aux durs travaux des champs.

Cependant qu’au château l’on faisait bonne chère,
On leur servait le pain et la soupe vulgaire
A la table de bois où tous venaient s’asseoir
Pauvrement partager l’humble repas du soir.

Et le temps s’écoula et les jeunes grandirent,
Forts, durs à la tâche, mais aussi prompts à rire
Car l’enfant a ceci de vraiment merveilleux
Que, même dans l’épreuve, il demeure joyeux ;

Comme ces plantes qui fleurissent entre les pierres,
Il sourit à l’espoir malgré le sort contraire.
Bref, soumis à ce mode de vie exigeant,
Ils étaient devenus de très beaux jeunes gens.

Courageux, mesurés, déjà pleins de sagesse,
Honnêtes, justes et droits, tout empreints de noblesse,
Ils étaient secourables, obligeants, généreux,
Veillant à ce que tous, autour d’eux, soient heureux.

Le jour de leurs vingt ans, qu’on dit le plus bel âge,
A la ferme survint, en très grand équipage,
Seigneurs et chevaliers, montant leurs palefrois,
Qui ouvraient le chemin au carrosse du roi.

Les nobles souverains, dans cette humble chaumière,
Tant rayonnaient de force et de bonté princière
Qu’ils semblaient tout à coup, spectacle sans pareil,
La brusque apparition du tout puissant soleil.

Car il était prévu, bien sûr, on le devine,
Que l’exil des enfants à vingt ans se termine,
Et le couple royal venait chercher enfin
La jolie princesse et son frère le dauphin.

Le roi leur avoue donc ainsi toute l’histoire
Mais la surprise est telle qu’ils ne peuvent la croire,
Ne s’y résolvant que lorsque les bons fermiers
Leur confirment en tout point le récit tout entier.

Je vous laisse rêver à la fin de ce conte ;
Imaginez la joie des princes lorsqu’ils montent
Dans le carrosse avec leurs deux parents royaux,
Leur émerveillement en entrant au château !

Cette nouvelle vie de luxe qui commence
Ne pourra plus avoir de mauvaise influence ;
Le travail, en forgeant ces êtres vertueux,
Les préserve à jamais des chemins tortueux.

C’était le plan du roi dans sa grande sagesse…
La fable se termine ainsi dans l’allégresse.
Et quant au sens caché, l’avez-vous deviné
Ou réclamez-vous qu’un indice soit donné ?

Eh bien ces deux enfants sont le symbole en somme
De toute la misère et la grandeur de l’homme
Qui forge ici-bas par l’effort et le labeur
Un avenir lointain de joie et de splendeur.

Le vrai et grand travail de l’homme est sur lui-même ;
Car il doit se sculpter comme on taille une gemme,
Avec amour et foi, travailler ardemment,
Et, vulgaire caillou, devenir un diamant !

Frères, nous sommes tous d’une race princière
En qui le ciel enfouit des dons extraordinaires ;
Nous avons les outils, il ne nous manque rien,
Mais c’est à nous seuls que le travail appartient…

Plus merveilleuse encor que les récits d’Orphée,
L’aventure de l’homme est un conte de fées,
Ineffable destin aux lendemains glorieux
Qui, partant de la terre, ira jusques aux cieux !

Arnaud Jonquet  janvier 2007

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