Poussée par un bon vent sur la mouvante plaine,
La galère approchait de l’île des sirènes
Mais Ulysse, averti, avait conçu un plan
Pour pouvoir écouter leurs chants ensorcelants
Sans pourtant succomber à leur piège tragique.
Pour rendre ses marins sourds à cette musique,
Avec de la cire il avait fait boucher
Leurs oreilles, lui-même s’étant fait attacher
Étroitement au mat de leur vaste galère
Avec ordre à ses hommes qu’ils ne le libèrent
Que lorsque le vaisseau serait loin de l’îlot.
Avançant à la rame, aucun des matelots
Ne se rendit compte du terrible supplice
Que subissait alors le téméraire Ulysse
Qui, entendant des chants d’une telle beauté,
Ordonnait aux marins que ses liens soient ôtés
Car l’enchantement créé par ces voix divines,
Apanage de ces créatures marines,
L’avait tant subjugué qu’il croyait que l’îlot
N’était autre qu’Ithaque où naquit le héros !
Il criait, suppliait ses hommes en pure perte
Mais l’équipage sourd sur la mer aux eaux vertes,
S’éloignant toujours plus de l’îlot dangereux,
Échappa de justesse à un destin affreux.
Lorsqu’ils furent hors de vue de l’île des sirènes,
Les Grecs libérèrent leur chef et capitaine
Qui devait les guider pour affronter bientôt
Deux des plus grands périls qui vivaient dans ces eaux,
D’autant plus dangereux qu’ils étaient invisibles.
Il y avait Scylla, dragon vraiment horrible,
Dressant en éventail, portées par six longs cous,
Six têtes affreuses qu’il faisait jaillir d’un coup
En les projetant hors de l’obscure caverne
Où il se tapissait ainsi qu’une murène.
Ses têtes présentaient un faciès effrayant
Aux mâchoires armées de trois rangées de dents !
L’équipage devait, sur sa route marine,
Passer aussi tout près d’un redoutable abîme,
Où du fond de la mer, Charybde, un monstre affreux,
Dévorait les poissons ou marins malchanceux
Voguant dans ses parages ou à faible distance
Aspirés par le flot d’un entonnoir immense
Ou il engloutissait de gros paquets de mer.
Il était périlleux, entre ces deux enfers,
De glisser un vaisseau dans cette étroite passe
Tout en évitant bien l’une et l’autre menace.
L’aquilon devenant de plus en plus violent,
Il fallut d’urgence réduire le gréement
Et, pour empêcher que Chabybde n’engloutisse
La galère d’un coup, l’industrieux Ulysse,
En pressant ses rameurs, n’eut guère d’autre choix
Que de voguer très près de l’antre de Scylla.
Alors que le bateau glissait vite sur l’onde,
Scylla lança soudain ses six têtes immondes
Qui, chacune, attrapa un malheureux rameur !
Ulysse et ses marins poussèrent un cri d’horreur
Mais n’eurent pas te temps d’esquisser un seul geste
Pour les arracher à un destin si funeste !
Six autres compagnons venaient d’être perdus !
Payant à l’océan ce terrible tribut,
Las ! Ulysse voyait peu à peu se réduire
Le nombre des hommes sur son dernier navire…
à suivre
Le souffle de l’aventure grecque a encore fonctionné et plein d’images aussi terrifiantes que colorées m’ont accompagnées tout le long de cette lecture. Il est temps qu’Ulysse arrive à Ithaqua s’il veut garder quelques marins intacts… 🙂