Très tard le festin se prolongea dans la nuit ;
Les prétendants partis, lorsque cessa le bruit,
Pénélope, à qui l’une de ses servantes
Avait rapporté cette anecdote étonnante
De la courte bataille entre les deux mendiants,
Intriguée, descendit de ses appartements
Afin de rencontrer ce curieux personnage,
Ce mendiant tellement vigoureux pour son âge.
Et, pour avoir avec cet homme un entretien,
Fit disposer pour lui un siège près du sien.
« Apprends-moi, voyageur, quelle terre étrangère
Sans doute lointaine te vit naître naguère ;
Et si, d’aventure, tu as eu l’occasion
D’ entendre prononcer de mon époux le nom :
C’est celui d’un seigneur aux actes héroïques
Et dont la renommée a dépassé l’Attique,
Ulysse, roi d’Ithaque, que toujours j’attends,
Et qui nous a quittés depuis presque vingt ans. »
« Noble reine, salut ! Je suis natif de Crète,
J’ai entendu parler d’Ilion dont la conquête
Par tous les princes grecs a pris presque dix ans.
J’ai ouï dire depuis, il y a peu de temps,
Qu’Ulysse était vivant mais que des vents contraires
Et des tribulations multiples l’empêchèrent
Malgré tout son courage et ses efforts inouïs
De fouler à nouveau le sol de son pays.
Ne perd donc pas espoir, ô noble souveraine,
Car, – qui sait ? – Sa venue peut être très prochaine. »
« Puisses-tu, étranger, être entendu des dieux !
Ah ! Pouvoir retrouver mon Ulysse glorieux,
Et enfin arrêter l’attente qui m’achève,
Serait réaliser le plus cher de mes rêves !
Holà, mes servantes, que l’on prépare un bain
Et une couche digne pour ce pèlerin ! »
« Merci de tes bontés, ô noble souveraine,
Qu’Athéna ait pitié et abrège tes peines
Pour que ton rêve soit enfin réalisé !
Quant à la servante qui m’aide à me laver
Je préfèrerais bien, plutôt qu’une jeunesse,
Une femme dont l’âge ait mûri la sagesse. »
Pénélope dit : « J’ai, pour exaucer ton vœux,
La servante prudente et âgée que tu veux.
Notre chère Euryclée fut la bonne nourrice
Qui, jadis, mit au monde et éleva Ulysse. »
A cette annonce Ulysse hésita un instant
Mais, son visage étant quelque peu différend,
Il ne craignit donc pas qu’elle le reconnaisse.
La servante, selon l’ordre de sa maîtresse,
Apporta de l’eau chaude en un vaste bassin,
Lui lava les pieds puis les jambes mais, soudain,
Poussa comme un cri au vu d’une cicatrice
Toute pareille à celle que son maître Ulysse
Portait au genou droit, ayant été blessé,
Autrefois au cours d’une chasse au sanglier !
Ulysse, d’une main à la fois ferme et douce,
Avant qu’elle ne parle lui ferma la bouche.
« Oui, ma bonne Euryclée, c’est bien moi, il est vrai ;
Mais il faut encor un peu garder le secret.
Le temps s’approche et vient où Ulysse, ton maître,
Aux yeux du monde va pouvoir se faire connaitre ! »
Séléné étant haute dans le firmament,
Pénélope monta en ses appartements,
Et le repos gagna toute la maisonnée
Pour une nuit de quiétude momentanée.
à suivre