Le fils de Laërte, effrayant dans sa rage,
Hors de lui, sans merci, poursuivait le carnage
Lorsque apparut aux nues la déesse Athéna
Dont la voix de sagesse en un mot, l’arrêta :
« Ulysse, maintenant, tu passes la limite
Retiens ton bras de peur que Zeus ne s’irrite !
Mets tout de suite un terme à ton zèle insensé
Ta vengeance est complète, assez de sang versé !»
La déesse aux yeux pers achevait ces paroles
Lorsque, faisant vibrer des hauts cieux la coupole,
Un orage éclata en un sourd grondement
Souligné soudain par un ardent flamboiement :
Un éclair aveuglant qui venait de s’abattre !
Enfin calmé, Ulysse cessa de combattre ;
Le roi d’Ithaque alors retrouva ses esprits.
Les prétendants avaient, pour la plupart, péri.
Ulysse, examinant le funeste spectacle,
Eut en pensée Ilion et son affreux massacre.
Seuls Phémios, l’aède aux chants si mélodieux
Et Madon, le héraut, le précepteur studieux
Aux soins de Télémaque durant son enfance,
Avaient survécu à la terrible vengeance.
Dehors, des serviteurs allongeaient les défunts,
Lavaient le portique et répandaient des parfums.
Quand le terrible Ulysse eut déposé ses armes,
Il vit Pénélope venir à lui en larmes
Elle courait, éperdue, et dans ses bras tomba
Malgré qu’il fut taché par le sang du combat.
On peut imaginer, après vingt ans d’absence,
Quelle forte émotion et quelle joie intense
Conçurent les époux, à nouveau réunis,
Et leur bonheur de vivre ces instants bénis !
Tous deux partagèrent leurs longues confidences
Racontant les combats, les luttes et les souffrances,
Les rares jours d’espoir et les jours attristants
Que chacun endura pendant ce très long temps.
Pénélope, charmée, buvait avec délice
Les mille aventures que racontait Ulysse.
Ils parlèrent ainsi bien avant dans la nuit
Et, dès le lendemain, Ulysse fut conduit
Par son épouse afin de visiter son père
Vivant loin du palais sur un lopin de terre
Qu’il cultivait tout seul bien qu’étant très âgé.
Ils aperçurent au loin, travaillant au verger,
La silhouette amaigrie et chenue de Laërte
Partiellement cachée par les frondaisons vertes.
Pénélope seule tout d’abord s’approcha
De son beau-père et, en lui prenant le bras,
Dit, pour atténuer le choc de la surprise :
« Père, me voici car il faut que je vous dise
Que nous avons reçu ce jour un étranger
Que son destin a fait longuement voyager.
Cet homme m’a dit que, par un hasard propice,
Il avait récemment rencontré notre Ulysse ! »
Le vieillard très ému, avec l’espoir au cœur,
Marcha à la rencontre de ce voyageur.
Il voyait bien mal mais, au fur et à mesure
Qu’il avançait, quelque chose de son allure
Évoquait vaguement quelqu’un de familier.
De près, l’examinant de la tête aux pieds,
Laërte aperçut la fameuse cicatrice
Qu’autrefois au genou s’était faite Ulysse.
« Ulysse, ô mon cher fils, c’est bien toi, n’est-ce pas ?
Combien de fois j’ai craint d’apprendre ton trépas !
Vingt ans d’attente pour te voir réapparaître !
Enfin je vais pouvoir rejoindre mes ancêtres
Après t’avoir revu, mon vœu est exaucé ! »
Et Laërte longtemps tint son fils embrassé.
Enlaçant Pénélope et soutenant son père,
Ulysse envisageait un avenir prospère
Lorsque l’heureux trio mi riant, mi pleurant
Vit Télémaque qui recherchait ses parents
Et les embrassa tous en une ample accolade.
Après quelques pleurs et de longues embrassades,
Tous les quatre, attendris, rendirent grâce aux Dieux
Et surtout Athéna dont le héros glorieux
Bénéficia souvent d’une aide décisive
Pour piquer ou calmer son âme combative.
Sur la petite île d’Ithaque désormais
Allait descendre enfin une enviable paix
Car ici s’achève l’aventure passée
Des exploits d’Ulysse et de sa longue odyssée. (4)
Fin
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(4) Odysseus en grec ancien Ὀδυσσεύς / Odusseús, en latin Ulixes, devint par déformation Ulysse.
Quelle fin magnifique et très émouvante de voir le père qui revoit enfin son fils avant de partir dans l’autre monde…
J’ai eu souvent, en lisant les diverses séquences de ce poème, cette geste on pourrait dire, des images colorées à la façon des films de Cecil B. DeMille en cinémascope. Étrange …
Comment ne pas féliciter l’auteur de cet exploit d’avoir réécrit l’odyssée, en vers et avec la fraîcheur de notre langue actuelle. De nous avoir tenu en haleine, épisode après épisode. Et de nous avoir refait aimer cette vieille histoire d’Homère étudiée dans nos jeunes années. Bravo ! Et merci encore…