L’Odyssée 18/20 L’arc d’Ulysse
Le soleil flamboyait déjà haut dans le ciel
Et les valets avaient décoré les autels
Lorsque Pénélope, résolue bien que lasse,
Avec ses suivantes, entra sur la terrasse
Où tous les serviteurs s’affairaient alentour
Afin de préparer le festin de ce jour.
Stimulée par les mots de l’étranger la veille,
Et par son intuition lui soufflant à l’oreille,
La reine, animée par le désir ardent
D’être débarrassée de tous ces prétendants,
Avait donc décidé, ce jour, le matin même,
De les soumettre enfin à l’épreuve suprême
Qu’elle avait méditée déjà depuis longtemps.
De son côté, son fils Télémaque, prudent,
Qui était de son père, bien sûr, le complice,
Venait de retirer, selon l’ordre d’Ulysse,
Les armes des trophées accrochées aux parois,
Sous prétexte d’entretien, laissant toutefois
Deux javelots, deux épées et deux boucliers,
Déposés à l’écart sur un petit palier.
Et Télémaque aussi demanda à Eumée
De veiller à tenir toutes portes fermées,
Et puis, à un signal, et quels que soient leurs cris,
D’emmener les femmes quelque part à l’abri.
Chacun des prétendants, ainsi qu’il est d’usage,
Vint dans la matinée présenter ses hommages
A la digne reine puis alla s’installer
En bonne place à table, en vue du banquet.
Sous son accoutrement, apparemment stoïque,
Ulysse vint s’assoir aux marches des portiques
Mais la colère montait en son for intérieur
Et il se maîtrisait afin que sa fureur,
Jusqu’au moment fatal, ne fut point révélée.
Au début du festin, superbement voilée,
Pénélope parut, plus belle que jamais.
Un silence complet se fit dans le banquet
Et la souveraine déclara, solennelle :
« Princes superbes qui, avec beaucoup de zèle,
Ruinez depuis longtemps d’un héros la maison,
Et qui avez pour seule et unique raison,
De vouloir m’épouser, en me supposant veuve,
Ici préparez-vous pour la suprême épreuve !
Puisqu’il me faut choisir maintenant parmi vous
Le seigneur prétendant à être mon époux,
Mon choix s’arrêtera, et c’est bien concevable,
Sur un être robuste et fort, qui soit capable,
Comme le fit souvent Ulysse dans le temps,
D’énergiquement tendre son arc puissant,
Et, à travers l’œil de douze cognées de haches
Alignées, réussir cette incroyable tâche :
Tirer une flèche passant par tous ces trous ! »
Et du seuil du portique jusqu’à l’autre bout,
Servantes et valets en ligne disposèrent,
Fichées dans une poutre, au-dessus de la terre,
Les cognées des haches fixées par le tranchant.
A ces mots, les fiers princes pâlirent sachant
L’athlète renommé qu’avait été Ulysse,
Sportif et excellent dans tous les exercices !
à suivre