Naïveté

hodja et le voleur

La naïveté est chez l’enfant délicieuse –
Son cœur est resté pur et rempli de candeur -,
Chez un homme elle peut devenir bien fâcheuse
Comme dans ce conte d’orientale saveur.
Assis sur son mulet, un fellah digne et sage,
Traverse la campagne un beau matin d’été.
C’est Nastradine Hodja revenant du village
Où il venait ce jour justement d’acheter,
Contre quelques écus, un robuste et bel âne.
Le bourricot suivait, d’une corde attaché,
Derrière le mulet telle une caravane.
Mais voilà qu’en chemin, deux voleurs bien cachés,
Détachent l’animal et l’un des deux, en hâte,
Prend subrepticement la place du baudet.
De retour au logis, Nastradine constate
La métamorphose qu’il ne peut expliquer.
« Qui es-tu ? » lui dit-il, ébahi de surprise,
« Un pauvre homme, Effendi. Enfant, j’ai eu le tort
Hélas, de commettre d’innombrables bêtises.
Ma mère, magicienne, me jeta un sort
Qui pendant vingt années me transforma en âne.
Cette époque venant tout juste de finir,
Rends-moi, si tu veux bien, à la vie musulmane.»
Nastradine, touché, le laissa donc partir
En lui faisant jurer, au nom du grand Prophète,
D’être enfin sage et de ne plus recommencer.
Le lendemain matin, il enfourche sa bête,
Car cet homme têtu jamais ne renonçait,
Et repart au marché de son petit village
Dans le but d’acheter un autre bourricot.
Un grand étonnement se lut sur son visage
Lorsque parmi les ânes parqués dans l’enclos,
Il reconnu celui qu’il acheta la veille !
« Tu as donc fait des bêtises une fois de plus !
Dit-il à l’animal, lui parlant à l’oreille,
Tant pis pour toi car je ne t’achèterai plus ! »

Arnaud Jonquet  octobre 2013