Le procès du Décasyllabe
Ce vers rétréci, maigre et sans appât,
Est trop bancal, malaisé à écrire,
D’une pareille hideur on ne veut pas ;
A tout poète on devrait l’interdire !
Le Décasyllabe est comme un corset,
Un cilice, un carcan et même pire…
Nous n’en pouvons plus, vraiment c’est assez,
De l’air enfin, il faut que l’on respire !
Alors que son cousin, le grand Alexandrin,
Voluptueusement, sur des coussins s’étire
Tel un prince oriental, détendu et serein,
Dans son palais doré de marbre et de porphyre.
Dix pieds, mais voyons, c’est bien trop restreint !
La place manque pour pouvoir tout dire ;
On est bousculé, suffoqué, contraint,
Et oppressé parfois jusqu’au martyre !
Comme ils font pitié, ces petits quatrains !
A peine bons pour faire une satire
On y est coincé comme en un pétrin,
Dans lequel l’on étouffe et l’on transpire.
Et pendant ce temps-là, mollement étendu,
Le souverain des vers, qui en rêvant soupire,
Majestueusement, pourra, bien entendu,
Coucher sur son papier tout ce qu’il voudra dire.
Le Décasyllabe, petit soldat,
Telle une mécanique nous fait rire ;
Sa marche étriquée, à tous petits pas
Amuse mais jamais ne nous inspire.
On dirait un robot dont la raideur
Lui donne l’air d’une statue de cire ;
Son pas automatique et sa maigreur
Ne pourront jamais vraiment nous séduire…
Quelle importance a donc la longueur de nos vers ?
Demandez à Hugo, Lamartine ou Shakespeare ;
Il faut s’harmoniser avec tout l’univers,
Le Zodiaque et les cieux, ce Monde qu’on désire.
Basé sur le cinq mal équilibré,
Le Décasyllabe est comme un navire
Trop chargé qui menace de sombrer ;
On craint à tout moment qu’il ne chavire !
Peut-on marcher avec deux pieds en moins ?
Qui le voudrait, même pour un empire ?
De toutes nos syllabes on a besoin
Pour avancer ! Qui peut me contredire ?
Allons donc, petits vers, passez votre chemin !
Partez et faites place à cet auguste sire
Qui règne sur hier, aujourd’hui et demain ;
Oui, seul l’Alexandrin inspire notre lyre !
Arnaud Jonquet mars 2007