Ulysse lui suggère qu’il serait plus sage
De faire maintenant un dîner de fromage
Qu’il pourrait arroser d’un très excellent vin :
« Voici une outre de ce breuvage divin
Ramené par nos soins d’un précédent voyage.»
Polyphème goûte, puis en boit davantage
Ne s’arrêtant que lorsque tout le vin est bu
Pour s’endormir enfin, enivré et repu.
Lorsque ses ronflements font vibrer le repaire,
Les Grecs se saisissent de sa tête et l’enserrent,
Puis élèvent au-dessus du gros œil au milieu,
Fermé par le sommeil, le redoutable épieu.
Au signal, d’un seul coup, sans la moindre semonce,
De toute leur force brusquement ils enfoncent
Le tronc de bois dans l’œil du colosse endormi !
Ses hurlements sont tels que tout le mont frémit ;
Fou de douleur, de rage et se sentant aveugle,
Il arrache le pal, sort de la grotte et beugle
Dans le but d’ameuter les cyclopes alentour.
Dans la nuit certains cherchent à lui porter secours :
« Polyphème qu’as-tu ? Dis-nous ce qui t’arrive ?
Pourquoi donc pousses-tu des clameurs aussi vives ? »
Dans le noir, la réponse du cyclope fuse :
« Personne m’a frappé par une infâme ruse ! »
« Eh bien, puisque personne ne t’a fait du tort,
Que pouvons-nous faire ? Recouche-toi et dors ! »
Les cyclopes repartent en laissant Polyphème
Gémir et se plaindre de sa douleur extrême.
Devant l’antre au matin le géant, à tâtons,
Fait sortir ses troupeaux de chèvres et de moutons
Et pour éviter que les hommes ne profitent
De sa cécité pour organiser leur fuite,
Vérifie chaque bête en y posant la main
Empêchant de ce fait tout passage d’humain.
Mais ce plan est contré par l’ingénieux Ulysse
Voulant mettre à profit ce moment très propice
Et qui, en prévision avait déjà lié
Ses compagnons au ventre de puissants béliers.
Cachés sous les ovins qui défilent en nombre,
Les équipiers d’Ulysse passent sans encombre
Et lui-même parvient à quitter leur prison
Agrippé sous la bête à l’épaisse toison.
Dès qu’ils sont éloignés, Ulysse les délivre ;
Polyphème, aveuglé, ne peut donc les poursuivre
Mais quelques bruits l’alertent et bien vite il comprend
Que les Grecs ont pu fuir et court en espérant
Mettre la main sur eux. Il crie pour les maudire
Mais tous, rapidement, atteignent le navire
Entraînant avec eux quelques belles brebis.
La flotte, prestement, fait un départ subit
Et tous les Grecs alors, sans demander leur reste,
S’éloignent vivement de cette île funeste.
Polyphème, furieux, sur un escarpement,
Au dessus de la mer, hurle comme un dément
Et, soulevant un bloc, à l’aveuglette lance
Un quartier de rocher de toute sa puissance
Qui manque de très peu la proue d’un des bateaux.
Les nefs, secouées par ce gros remous des flots,
Ayant alors hissé rapidement les voiles,
S’éloignent, mettant fin à cette longue escale.
à suivre