La fable des poissons

 

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Il se tint une fois, au fond de l’océan,
Un colloque important de poissons très savants
Réunissant au loin dans l’eau d’un golfe calme
Tous ceux qui de la science avait reçu des palmes :
Docteurs et chercheurs du monde sous-marin,
Professeurs, directeurs et autres mandarins,
Nageoires diplômées, du mérou à la sole,
Qui connurent les bancs des plus hautes écoles.
Or, un point opposait, vivement débattu,
La nouvelle vague aux membres de l’institut.
Vous allez par vous-mêmes en juger l’importance :
Les plus jeunes évoquaient la possible existence
D’un règne supérieur qui vivrait hors de l’eau,
D’un monde évolué bien au-delà des flots,
Peuplé d’êtres parfaits qui en tout point dépassent
De l’univers marin les innombrables races.
Et devant l’ironie des poissons vétérans
Qui, haussant les nageoires, s’esclaffaient en riant,
Ils ajoutent d’ailleurs qu’ils en veulent pour preuve
Ces ombres qui souvent en surface se meuvent.
« Sur nos têtes, elles glissent et vont à l’infini,
Disparaissant soudain ainsi que des OFNI »
« Bien sûr ! Objets flottant non identifiés ! » raille
Un vieux saumon grincheux aux lunettes d’écailles
Dans lesquelles roulent de gros yeux globuleux.
Puis le débat devient de plus en plus houleux ;
On bavarde partout, on crie, on rie, on râle,
La pagaille marine est bientôt générale !
Tous les poissons troublés sur leur banc de corail
Agitent leurs branchies comme des éventails
Tellement que l’on voit de ce conciliabule
Monter une bouillante colonne de bulles.
Alors un vieux doyen de l’université,
Pour tenter de calmer les esprits excités,
Frénétique, frappa, ainsi qu’il est d’usage,
Avec son aileron sur un gros coquillage.
Ce professeur, un plat et maigre carrelet
Que ses yeux latéraux rendaient franchement laid,
Ayant de l’assistance repris le contrôle,
Harangua l’assemblée de ces quelques paroles :
« Je vous en prie, du calme, allons, voyons, messieurs !
Mes chers confrères, enfin, soyons un peu sérieux !
Il semble, chez certains, que l’esprit scientifique
Se laisse égarer par des idées chimériques.
Nous sommes des poissons, gardons notre sang-froid !
Ne donnons pas crédit à tout ce que l’on croit.
Vous savez comme moi que parmi tous les règnes,
Les espèces que les flots de nos océans baignent,
Un seul domine tout ce que nous connaissons,
Ce règne c’est le nôtre, c’est celui des poissons.
Comment sérieusement peut-on encore croire
A toutes ces rumeurs, ces rêves et ces histoires ?
Croire en des entités dont nous ne savons rien !
Quant à tous ces récits de vaisseaux aériens,
Ce ne sont que des contes de Polichinelle
Mis en pièces par toute étude rationnelle !
Nous savons que la vie n’existe que dans l’eau
Et que rien n’est capable de vivre plus haut
Car la respiration y devient impossible ;
Toutes ces théories sont franchement risibles… »
Le reste du discours étant du même ton,
Nous vous en faisons grâce vous demandant pardon
Pour avoir déjà trop usé votre patience ;
Enfin nous sommes presque au bout de cette stance.
Voilà comment certains rationalistes sont :
Souvent aussi bornés que ces gentils poissons,
Et les aveuglements de l’officielle science
Sont parfois dépourvus de simple intelligence.
Esprits trop cartésiens, méditez la leçon
Car c’est peut-être vous qui mordez à l’hameçon ;
Par la seule logique l’on peut bien se méprendre
Et l’époque qui vient risque de vous surprendre.

Arnaud Jonquet  juin 2006

 

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